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Étoffes à décor de circonstance

Si Joséphine Kaeppelin met depuis plusieurs années en évidence les aléas et les dysfonctionnements des machines, elle s’intéresse actuellement aux rouages de mécanismes plus larges, ceux des entreprises ou des institutions. Le travail, son aspect sociétal et ses valeurs sont au centre de l’exposition « Etoffes à décor de circonstance ».

Depuis la rue, La BF15, autrefois magasin de moquette, semble cette fois-ci s’être changée en boutique de tissus. Une large table de soyeux lyonnais laisse à penser que les étoffes déroulées sur les murs sont à vendre. L’artiste porte, le soir du vernissage, une chemise confectionnée avec l’un de ces tissus.
Béatrice Josse, directrice du Centre National Art Contemporain de Grenoble (Le Magasin) invitait en 2016 Joséphine Kaeppelin à développer sa recherche sur l’expérience du travail vécue de « ceux qui font ». C’est donc en rencontrant chacun des membres de l’équipe de cette institution que l’artiste, à l’aide de questionnaires, a réuni un important matériel qu’elle réinvestit dans chacune des œuvres de l’exposition.
La photographie de la position singulière des mains des salariés, les fragments de conversation relevés, ou encore des dessins réalisés à l’aide du logiciel Microsoft Word, sont reproduits en série et imprimés numériquement sur de la soie. Ces « patterns » deviennent les symptômes de trois thématiques qui se sont imposées à l’artiste au cours de ses recherches : les notions de dysfonctionnement, de surréglementation, et de prise de parole.
Ces problématiques deviennent formules : Si tu parles, je parle., Tout le service dysfonctionne., Les trois marches légales. Elles sont abordées avec poésie et humour par Mathilde Sauzet Mattei, commissaire et artiste, à travers des textes remarquablement écrits qui viennent, à leur tour, élargir encore le propos de l’exposition.
Fruit de l’audit réalisé au Magasin, une vidéo « Power-Point » dévoile les bribes d’un discours formulé à la première personne. Ces phrases mettent en évidence le rapport individuel et singulier que chacun entretient avec le travail. Installé au dessus du bureau, cet écran semble alors donner la parole à une nouvelle équipe, celle de La BF15.

Dans la dernière salle de l’exposition, le visiteur est invité à répondre, à son tour, à une enquête d’opinion. Il s’agit alors de choisir l’image numérique (mêlant geste mécanique d’un logiciel et dessin à la main) « qui représente le mieux votre état d’esprit du moment ».
Le formulaire F001-2017-FR est à compléter, laissant entrevoir au visiteur l’infinité des assertions qu’il est possible d’énoncer quant à son propre travail : « il faut que chacun reste à sa place », « il y a des petites choses bancales de partout », « il y a sûrement quelque chose à comprendre ».

Le travail de Joséphine Kaeppelin, aussi subtil qu’abouti, est porté par la scénographie précise de cette exposition : à ne manquer sous aucun prétexte.

Leïla Couradin et Marion Nigoghossian
article paru en ligne sur www.lemauvaiscoton.fr, janvier 2017